ONCOGENÈSE

ONCOGENÈSE
ONCOGENÈSE

L’étude des mécanismes de l’oncogenèse (du mot grec oncos , qui veut dire «tumeur»), c’est-à-dire de la conversion d’une cellule normale en cellule tumorale, a fait des progrès considérables depuis le début des années 1970. Même s’il reste impossible d’identifier tous les événements dont la cellule est le siège et qui ont un rôle causal dans l’apparition des tumeurs, l’utilisation des méthodes de la biologie et de la génétique moléculaires, appliquées en particulier à l’analyse de l’interaction entre les virus oncogènes et leurs cellules hôtes, a permis de démontrer l’existence de gènes viraux dits «oncogènes» dont l’activité détermine l’aptitude de ces virus à provoquer l’apparition de tumeurs chez des animaux d’expérience. Ce résultat, acquis dans la première moitié des années 1970, a conduit en 1976 à la découverte de gènes cellulaires proto-oncogènes qui peuvent être convertis en gènes oncogènes soit par leur capture par des virus de la famille des rétrovirus, soit par des mutations survenues sans intervention virale dans le génome cellulaire. Ces découvertes ont profondément modifié notre compréhension des phénomènes tumoraux et ont permis pour la première fois de proposer une hypothèse générale de l’oncogenèse.

Les êtres organisés sont formés par l’assemblage d’unités élémentaires, les cellules. Les animaux supérieurs prennent naissance à partir d’une cellule unique, l’œuf fécondé, dont les divisions successives produisent progressivement les différents types cellulaires qui constituent l’organisme adulte. Au cours de l’embryogenèse et du développement, on voit apparaître des cellules différenciées, organisées en ensembles fonctionnels, tissus et organes. L’embryogenèse et le développement nécessitent une régulation précise de la multiplication des cellules, en même temps que l’acquisition transitoire par certaines d’entre elles de capacités migratoires qui sont nécessaires à la construction des ébauches d’organes. Dans l’organisme adulte, certaines cellules, par exemple les neurones du système nerveux central, ont perdu la capacité de proliférer, alors que d’autres conservent pendant toute la vie adulte l’aptitude à se multiplier pour assurer un renouvellement régulier de cellules différenciées à durée de vie limitée. C’est ainsi que, chez l’homme, la moelle osseuse renferme des cellules souches qui sont à l’origine de toutes les cellules sanguines. De même, la couche basale de l’épiderme renferme des cellules dont les divisions permettent le renouvellement régulier de cette barrière qui nous protège du milieu extérieur, la peau. Les proliférations cellulaires, qui sont nécessaires à la formation planifiée de l’embryon, à l’entretien de tissus renouvelables et à la réparation des traumatismes, sont exactement régulées par des informations multiples que les cellules proliférantes reçoivent soit de leur environnement proche (facteurs de croissance et cytokines, contacts avec d’autres cellules ou avec la matrice extracellulaire et le stroma), soit de glandes endocrines (hormones).

Une tumeur peut se former dès lors qu’une cellule cesse de respecter les instructions qu’elle reçoit de ses voisines et de l’organisme entier, et poursuit des cycles de division non régulés par les besoins normaux de renouvellement ou de réparation. Une telle prolifération dérégulée peut être le fait de cellules qui conservent néanmoins la capacité de constituer une structure tissulaire proche de la normale et qui respectent les frontières du tissu ou de l’organe. Il s’agit alors d’une tumeur bénigne. L’apparition d’un véritable cancer – ou tumeur maligne – correspond à une déviance plus accentuée de la cellule proliférante, caractérisée par l’invasion des tissus voisins et, éventuellement, par l’apparition chez les cellules tumorales d’une capacité de migration à travers les circulations lymphatique ou sanguine, qui va conduire à la formation de métastases dans des sites plus ou moins distants de celui de la tumeur primitive. Les cellules tumorales invasives, qui peuvent migrer à partir de la tumeur initiale, ont un comportement qui n’est pas sans rappeler celui de certaines cellules embryonnaires, responsables de la morphogenèse des tissus.

C’est le biologiste allemand Boveri qui a formulé pour la première fois en 1914 l’hypothèse de l’origine génétique des cancers. Dès cette époque, on savait qu’il y avait une relation entre les caractères héréditaires des organismes et des structures organisées qui deviennent visibles dans le noyau au moment des divisions cellulaires, les chromosomes. Les dimensions et le nombre de ces entités chromosomiques sont caractéristiques d’une espèce donnée. Les observations effectuées sur des cellules tumorales et sur les cellules normales du même tissu avaient montré à l’évidence que les structures nucléaires des cellules tumorales malignes diffèrent très fréquemment de celles des cellules normales. Sur la base de ces observations, qui ont été confirmées et précisées aujourd’hui grâce aux progrès de la cytogénétique, Boveri avait proposé que ces anomalies des structures nucléaires étaient la marque de modifications du patrimoine héréditaires survenues dans une cellule au sein d’un tissu et qu’elles étaient la cause des aberrations de comportement des cellules malignes. Cette hypothèse devait être reformulée ultérieurement pour devenir l’hypothèse des mutations somatiques comme origine des cancers.

Cependant, vers la même époque, les biologistes danois Ellerman et Bang (1908) avaient pu montrer que la leucémie du poulet était transmissible d’individu à individu par des extraits cellulaires filtrés, mettant ainsi pour la première fois en évidence une relation causale entre un agent infectieux et une maladie maligne. Cette découverte devait être complétée en 1913 par Peyton Rous, qui démontra la transmissibilité par extrait cellulaire filtré d’une tumeur solide du muscle (sarcome), également chez le poulet. Les travaux de Peyton Rous conduisirent à l’identification du virus sarcomatogène de Rous.

La théorie de la mutation somatique comme origine des cancers et celle de la transmission par un virus infectieux ont dominé successivement ou simultanément les recherches sur l’oncogenèse jusqu’à ce que l’introduction de nouvelles démarches expérimentales aient permis de montrer que les deux hypothèses ne sont pas irréconciliables.

1. La découverte des gènes cellulaires proto-oncogènes. Leur conversion en gènes oncogènes viraux

Les premières études expérimentales sur l’oncogenèse, dont les travaux d’Ellerman et Bang et de Rous sont d’excellents exemples, ont fait appel à des modèles animaux. Ces modèles, qui ont permis la découverte des premiers virus oncogènes, ont également conduit à l’identification d’agents chimiques ou physiques qui sont capables de provoquer l’apparition de tumeurs lorsqu’ils sont administrés à un animal d’expérience. Malgré l’intérêt que continue à présenter l’expérimentation animale, la longueur et la lourdeur des expériences ainsi que l’incapacité d’identifier les premiers événements cellulaires qui vont conduire à la formation d’une tumeur d’un volume suffisant pour permettre sa détection ont incité les chercheurs à recourir à des modèles expérimentaux constitués par des cellules cultivées in vitro. Il a cependant fallu attendre que des méthodes de culture relativement simples et reproductibles aient été élaborées pour qu’il devienne possible de généraliser cette approche dans de nombreux laboratoires.

La mise en culture de cellules dérivées d’embryons d’oiseaux ou de rongeurs dans des milieux de culture comportant 10 p. 100 de sérum de veau fœtal comme source de facteurs de croissance, d’hormones et de protéines qui permettent l’attachement des cellules à la surface du récipient de culture aboutit à la prolifération d’un type de cellules, le fibroblaste. Les fibroblastes embryonnaires considérés comme normaux adhèrent fortement au récipient de culture et prolifèrent jusqu’à ce qu’ils forment une seule couche de cellules recouvrant toute la surface qui leur est offerte. Leur prolifération s’arrête alors dans un état qu’on appelle inhibition de contact. Pour obtenir une nouvelle population de fibroblastes proliférants, il faut détacher les cellules du récipient grâce à un traitement ménagé par une enzyme protéolytique appropriée (trypsine) et les réensemencer dans de nouveaux récipients en nombre tel que les cellules qui vont à nouveau s’attacher ne recouvrent pas la totalité du flacon. Cette opération pourra être répétée avec succès plusieurs fois. Cependant, après un certain nombre de ces passages en culture, on assiste à un phénomène appelé crise, au cours duquel les fibroblastes perdent leur aptitude à se multiplier et finalement meurent. L’exposition des cellules proliférantes à des agents cancérogènes et, particulièrement, leur infection par des virus oncogènes sont cependant capables de changer radicalement le sort d’au moins une partie des cellules, qui subissent une transformation de leurs propriétés morphologiques et de leurs caractères de prolifération. Les cellules transformées peuvent se distinguer des cellules normales par une moindre adhérence au substrat, qui s’accompagne d’une morphologie moins aplatie, par la perte de l’inhibition de contact, ce qui permet aux cellules transformées de former de multiples couches de cellules, et par une moindre dépendance vis-à-vis des facteurs de croissance apportés par le milieu, qui rend les cellules transformées capables de proliférer en présence de faibles concentrations de sérum. La perte d’adhérence au substrat peut s’accompagner de la capacité des cellules à proliférer en suspension dans un milieu partiellement gélifié par l’addition d’une petite quantité d’agar et de former des colonies sphériques. Enfin, les cellules transformées en culture peuvent acquérir l’aptitude à former une tumeur, lorsqu’on les greffe à l’animal. Il faut bien entendu, dans ce cas, tenir compte du phénomène de rejet de greffe, et choisir un animal receveur histocompatible avec la cellule transformée. En fait, on utilise souvent aujourd’hui comme receveurs des souris mutantes dépourvues de thymus (souris nude ), qui acceptent les greffes de cellules d’origines très diverses, y compris celles des cellules humaines transformées ou dérivées de tumeur.

C’est, en particulier, l’utilisation des cultures cellulaires qui a permis, à partir des années 1970, d’accélérer les progrès de l’oncogenèse, en même temps que les méthodes de la biologie moléculaire rendaient possible une étude du pouvoir transformant des virus oncogènes. Les informations génétiques qui confèrent au virus du sarcome de Rous ses propriétés biologiques sont inscrites dans la séquence d’une longue molécule d’acide ribonucléique (ARN). Grâce à une étude génétique du virus, associée à une étude biochimique de la molécule d’ARN qui constitue son génome, une identification des gènes du virus et leur localisation physique le long de cette molécule ont pu être réalisées (fig. 1). Il est alors apparu que le génome viral renferme, d’une part, des gènes dont les fonctions sont essentielles à la reproduction du virus lorsqu’il infecte une cellule hôte et, d’autre part, un gène auquel on a donné le nom de gène sarcomatogène (src , en abrégé). La fonction de ce gène n’est pas indispensable au déroulement du cycle de multiplication du virus; par contre, elle est responsable de l’aptitude du virus à provoquer la transformation de cellules embryonnaires en culture ou à induire la formation d’un sarcome, lorsqu’on l’injecte au poulet. L’expression du gène src aboutit à la production d’une protéine phosphorylée d’une masse de 60 kDa, la protéine pp60src , qui s’est ultérieurement révélée porter une activité enzymatique capable de transférer des groupes phosphate de l’ATP sur des résidus tyrosine de protéines cibles (activité tyrosine protéine kinase). L’étude de divers mutants spontanés ou obtenus par mutagenèse dirigée a conduit à la conclusion que l’activité kinase de pp60src est nécessaire à la conversion d’une cellule normale en cellule transformée, ainsi qu’au maintien ultérieur des propriétés qui signent la transformation.

Que le génome du virus du sarcome de Rous fût constitué par de l’ARN et qu’il y ait persistance des gènes viraux oncogènes dans les cellules transformées posait un problème qui fut résolu en 1970, lorsque, indépendamment, H. Temin et D. Baltimore démontrèrent que le virus possède un gène (dit pol ) qui code une enzyme, la transcriptase-inverse, capable de transcrire en ADN les informations génétiques virales. Jusqu’alors, seule la transcription d’ADN en ARN était connue: c’était le «dogme central» de la biologie moléculaire. Le phénomène inverse, appelé rétrotranscription, constaté chez les virus de la famille du virus du sarcome de Rous, permet de les rattacher à la classe des rétrovirus. La molécule d’ADN produite par rétrotranscription est appelée le provirus (fig. 2); elle s’intègre définitivement dans un chromosome cellulaire, et sera par la suite exprimée et transmise à travers les générations cellulaires en même temps que les gènes cellulaires eux-mêmes, ce qui assure la production permanente de la protéine pp60src . Grâce à des techniques d’hybridation moléculaire entre ARN viral et ADN de cellules de poulet non infecté, Stéhelin, Varmus et Bishop (1976) réussirent à démontrer que le gène sarcomatogène viral, appelé maintenant v-src , tire en fait son origine d’un gène cellulaire, c-src , que le virus a capturé et emmené avec lui au cours de précédents cycles de réplication. Cette découverte fondamentale a donc démontré l’existence dans le génome des cellules d’animaux supérieurs, de gènes proto-oncogènes qui peuvent être convertis en oncogènes par capture par un virus à RNA.

La conversion du proto-oncogène c-src en oncogène viral v-src est en partie le résultat d’une dérégulation de l’expression du gène, qui est maintenant asservie aux besoins spécifiques de la réplication du virus et qui échappe ainsi aux régulations cellulaires. En outre, au cours de la formation du virus sarcomatogène de Rous, des réarrangements et mutations de la région codante de c-src ont contribué au caractère oncogène de v-src en modifiant la structure de la protéine. L’étude d’autres rétrovirus oncogènes a permis d’identifier, à côté de c-src , de nombreux autres proto-oncogènes cellulaires (tabl. 1).

Cependant, certains rétrovirus, par exemple les virus de la leucose aviaire, provoquent des pathologies néoplasiques, alors qu’ils ne portent dans leur génome aucun gène oncogène. En localisant exactement le site d’intégration de leur provirus dans les cellules leucémiques, on a constaté que ces virus peuvent, en s’intégrant au voisinage d’un proto-oncogène cellulaire, en perturber in situ la régulation. Ainsi, dans les cellules des lymphomes B produits chez le poulet par le virus de la leucose, on retrouve le provirus intégré au voisinage du gène proto-oncogène c-myc , précédemment identifié grâce à sa capture par le virus de la myélocytomatose. Il apparaît donc qu’il n’y a pas d’opposition irréductible entre l’intervention d’un rétrovirus dans l’oncogenèse et l’hypothèse de la mutation somatique, puisqu’en dernière analyse les rétrovirus oncogènes se comportent comme des mutagènes, soit en capturant un proto-oncogène cellulaire, soit en s’intégrant dans son voisinage.

2. Activation de proto-oncogènes en oncogènes dans les tumeurs

L’étude épidémiologique des cancers humains a conduit à la conclusion que, dans 60 à 80 p. 100 des cas, l’apparition d’un cancer est favorisée, ou provoquée, par un facteur de l’environnement. Dès la fin du XVIIIe siècle, le médecin anglais sir Percival Pott avait pu établir une corrélation entre l’exposition aux goudrons produits par la combustion de la houille et les cancers du scrotum observés chez les ramoneurs. Il est bien connu également que l’exposition prolongée aux rayons ultraviolets de la lumière solaire est un facteur de risque pour le développement de tumeurs épidermiques, qui apparaissent dans les régions du corps exposées au soleil. De même, la relation entre cancers et radiations constatées chez les premiers radiologistes utilisant les rayonx X est bien établie. En outre, l’utilisation des modèles animaux avait permis d’identifier de nombreuses substances chimiques qui provoquent l’apparition de cancers très divers. On savait que les rayons ultraviolets ou les hydrocarbures polycycliques présents dans les goudrons provoquent dans la structure de l’ADN des cellules exposées des lésions qui, si elles ne sont pas réparées par des enzymes dites de réparation, ont un effet mutagène.

C’est encore l’usage de la transformation cellulaire in vitro qui a permis de franchir un pas de plus dans l’identification des mécanismes de l’oncogenèse. Il est en effet possible de transférer dans un fibroblaste de souris non transformé (lignée cellulaire NIH3T3) de l’ADN de haut poids moléculaire extrait d’une cellule transformée ou tumorale. On voit alors apparaître, avec une faible fréquence au cours de ces expériences de transfection, des cellules transformées porteuses d’un gène provenant de la cellule tumorale initiale. Grâce aux méthodes du génie génétique, l’identification d’un gène transfecté responsable de la transformation est possible. Une des premières expériences de ce type, réalisée simultanément en 1982 par Weinberg et par Wigler et leurs collaborateurs, a permis de montrer que la transformation cellulaire observée avec de l’ADN extrait d’une cellule de tumeur humaine de la vessie peut être attribuée à la transfection dans la cellule 3T3 réceptrice d’une version mutée du proto-oncogène c-Ha-ras . Ce proto-oncogène avait été antérieurement identifié chez les rongeurs, grâce à son activation par le rétrovirus du sarcome murin de Harvey. Cette première expérience a été suivie de beaucoup d’autres, qui ont permis de reconnaître l’existence de versions oncogènes de nombreux proto-oncogènes cellulaires dans diverses tumeurs humaines.

Dans le cas du proto-oncogène Ha-ras , la conversion en oncogène est le résultat d’une mutation ponctuelle qui change un aminoacide dans la protéine qui sera le produit du gène. L’importance de l’activation par mutation d’un proto-oncogène a été confirmée par deux types d’expérimentation sur modèles animaux. On sait induire chez le rat l’apparition de tumeurs mammaires par une seule administration d’un cancérogène chimique, la N-nitroso-N-méthylurée. Dans au moins 80 p. 100 des tumeurs apparues, on constate une mutation du gène Ha-ras . Il est également possible, en introduisant une copie d’un gène Ha-ras mutée dans un œuf fécondé de souris, d’obtenir des lignées de souris dites transgéniques, qui portent dans toutes leurs cellules le gène muté et le transmettent à leurs descendants. Ces lignées transgéniques présentent alors, avec une fréquence qui peut atteindre 100 p. 100, des tumeurs dont la localisation dépend du tissu dans lequel s’exprime le gène muté. Le ciblage de l’expression vers la glande mammaire ou vers le foie peut être obtenu en plaçant en amont du gène utilisé des séquences régulatrices appropriées, conduisant soit à des tumeurs mammaires, soit à des hépatocarcinomes. Ces expérimentations confirment bien que la mutation d’un proto-oncogène en oncogène peut représenter une étape importante dans l’oncogenèse.

Cependant, d’autres mécanismes moléculaires d’activation d’un proto-oncogène en oncogène sont également observés. Parmi les plus fréquemment rencontrés dans les tumeurs humaines, citons les amplifications de gènes et les translocations chromosomiques. On détecte, par exemple dans les noyaux cellulaires de nombreuses tumeurs humaines, des structures chromosomiques anormales, qu’on appelle chromosomes minuscules doubles. Ces structures correspondent à la multiplication de régions chromosomiques porteuses de proto-oncogènes. À ce nombre anormalement élevé de copies du gène (amplification) correspond un niveau d’expression intense qui contribue à l’oncogenèse. C’est par exemple le cas dans les neuroblastomes de l’enfant, qui présentent fréquemment une amplification du gène N-myc .

Les translocations chromosomiques, qui correspondent au transfert d’un fragment de chromosomes sur un autre, sont également fréquentes dans les tumeurs. Les mieux caractérisées s’observent dans les hémopathies malignes. Dans les leucémies myéloïdes chroniques, on observe par exemple l’apparition d’un chromosome anormal dit de Philadelphie (Phi). Le chromosome de Philadelphie est le résultat d’une translocation entre les chromosomes 9 et 22, qui fusionne une partie d’un gène bcr avec une partie du proto-oncogène abl , conduisant à la production par la cellule leucémique d’une protéine de fusion bcr-abl , absente des cellules normales.

Un autre exemple particulièrement instructif concerne les translocations entre le chromosome 8, porteur du gène proto-oncogène c-myc , et les chromosomes 14, 2 ou 22, qui portent des gènes codant des chaînes peptidiques d’immunoglobulines. Elles sont régulièrement observées dans les lymphomes de Burkitt africains. On savait déjà que ces lymphomes, qui prennent naissance à partir de précurseurs de lymphocytes B, sont associés à une infection précoce par un virus herpétique à ADN, le virus d’Epstein-Barr. L’apparition de ces lymphomes nous fournit donc un modèle d’oncogenèse comportant une coopération entre un virus oncogène à ADN, porteur de ses propres oncogènes, et l’activation d’un proto-oncogène cellulaire par translocation, résultat d’un malfonctionnement des mécanismes de remaniement des gènes d’immunoglobulines qui président, normalement, dans les précurseurs des lymphocytes B, à la constitution du répertoire des anticorps.

3. Les fonctions des proto-oncogènes

Le nombre des proto-oncogènes actuellement identifiés avoisine la centaine, et rien ne permet de dire que la liste en soit close. Les proto-oncogènes sont des gènes extrêmement conservés au cours de l’évolution, puisque certains d’entre eux, comme les gènes ras , sont retrouvés jusque chez les eucaryotes inférieurs, comme les levures. Cela indique que ces gènes jouent des rôles fondamentaux dans le fonctionnement de nos cellules. De fait, les proto-oncogènes les mieux connus peuvent être classés en cinq groupes en fonction des propriétés de leurs produits (tabl. 2).

Le premier groupe renferme des proto-oncogènes codant des facteurs de croissance, susceptibles de stimuler la prolifération de divers types cellulaires.

Le deuxième groupe code des protéines possédant une activité enzymatique tyrosine protéine kinase. Ces protéines sont soit transmembranaires, soit associées à la face interne de la membrane cellulaire. Dans les deux cas, elles permettent la transduction de l’extérieur vers l’intérieur de la cellule des signaux qu’elle reçoit du milieu extérieur et qui régulent sa prolifération ou sa différenciation. Ce transfert d’information est assuré par l’activation de l’activité tyrosine kinase consécutive à la réception du signal.

Le troisième groupe code des protéines qui sont associées à la face interne de la membrane cellulaire et qui possèdent une affinité pour le GTP et le GDP, et une activité GTPasique. La fonction des gènes ras qui appartiennent à cette famille n’est pas encore clairement identifiée, mais plusieurs arguments expérimentaux suggèrent que les protéines ras jouent un rôle important dans le transfert d’informations entre la membrane et l’intérieur de la cellule.

Le quatrième groupe code des protéines localisées dans le cytoplasme et porteuses d’une activité protéine kinase spécifique des résidus sérine et thréonine. Leur activité catalytique est augmentée lorsque la cellule est stimulée par des facteurs de croissance. Ces protéines jouent certainement un rôle dans des cascades de phosphorylations, qui servent à transférer les signaux de la région sous-membranaire vers l’intérieur de la cellule.

Le cinquième groupe comprend des gènes codant des protéines dont la localisation est intranucléaire. La plupart ont une affinité pour l’ADN, et certaines, en reconnaissant spécifiquement des séquences particulières, modulent l’expression de gènes dont les régions régulatrices sont porteuses de ces séquences.

Les proto-oncogènes sont donc normalement impliqués dans des fonctions cellulaires essentielles, liées à la prolifération et à l’expression des fonctions différenciées. Les événements génétiques qui convertissent les proto-oncogènes en oncogènes ont tous pour conséquence d’affranchir l’activité biologique de leur produit des régulations auxquelles elle est normalement soumise.

4. Les anti-oncogènes ou gènes suppresseurs de tumeurs

La découverte des proto-oncogènes et de leurs mécanismes d’activation en oncogènes a constitué une étape essentielle dans la compréhension de l’oncogenèse. Cependant, un certain nombre d’observations sur des cellules tumorales ou transformées en culture suggéraient l’existence d’autres gènes cellulaires dont les mutations pourraient être impliquées dans l’apparition des tumeurs. Par exemple, il est possible de faire fusionner ensemble deux cellules en culture de façon à obtenir un hybride cellulaire qui renferme l’ensemble des chromosomes des deux cellules. De tels hybrides cellulaires réunissant le patrimoine génétique d’une cellule capable de former des tumeurs par greffe sur animal à celui d’une cellule normale non tumorigène sont très souvent non tumorigènes, aussi longtemps qu’ils conservent la totalité des chromosomes des deux cellules initiales. Autrement dit, la non-tumorigénicité est génétiquement dominante par rapport à la tumorigénicité. Si la tumorigénicité cellulaire était uniquement déterminée par l’activation de proto-oncogènes en oncogènes, on s’attendrait au résultat inverse, puisque le génome de la cellule tumorigène apporte à l’hybride les oncogènes activés qu’il est supposé renfermer et qui devraient déterminer de façon dominante le comportement de la cellule hybride.

Ces observations ont été complétées ultérieurement par celles qui portent sur le transfert dans une cellule tumorigène d’un seul chromosome provenant d’une cellule normale. Par exemple, le transfert d’un chromosome 11 humain normal dans une cellule tumorigène dérivée d’une tumeur rénale de Wilms lui fait perdre sa tumorigénicité. Il semble donc qu’il existe dans les cellules normales des gènes dont l’activité contrebalance celle des oncogènes activés, et qu’on appelle, pour cette raison, gènes anti-oncogènes ou, mieux, gènes suppresseurs de tumeurs.

Quoique la technique des hybrides somatiques ou celle des transferts de chromosomes uniques ou de fragments de chromosome aient contribué à établir la notion de gènes suppresseurs de tumeur, elle n’a pas conduit jusqu’à présent à leur identification et à leur isolement. L’identification d’un premier gène suppresseur de tumeur a en fait été rendue possible par l’étude génétique d’une tumeur pédiatrique de l’œil, le rétinoblastome. Dans environ 60 p. 100 des cas, cette tumeur apparaît chez un enfant dont la famille n’a pas présenté antérieurement de cas de rétinoblastome (cas sporadique). Cependant, 40 p. 100 des cas concernent des enfants dont la famille a déjà présenté des rétinoblastomes (cas familiaux), et une étude génétique des familles à rétinoblastome montre qu’il existe, dans ces familles, une transmission héréditaire de la prédisposition à développer un rétinoblastome. Une analyse épidémiologique des rétinoblastomes sporadiques et familiaux réalisée par Knudson a conduit cet auteur à proposer, en 1972, que l’apparition d’un rétinoblastome est rendue possible par la survenue, dans une même cellule précurseur des cellules rétiniennes, de deux événements génétiques. Dans les cas sporadiques, les deux événements se produisent après la conception de l’enfant au cours du développement de l’œil. Dans les cas familiaux, un premier événement a déjà eu lieu dans la famille et concerne toutes les cellules des antécédents atteints, y compris les cellules reproductrices. Il est donc transmissible des parents aux descendants selon les lois de Mendel. Chez les individus ayant hérité de cette prédisposition, le deuxième événement nécessaire à l’apparition de la tumeur se produit après la conception. Ce modèle, dit à deux coups, permet en particulier de rendre compte des différences dans l’âge auquel apparaissent les tumeurs. Les rétinoblastomes familiaux apparaissent en effet très précocement, vers l’âge de un an, tandis que les cas sporadiques s’observent plus tard.

Le modèle de Knudson ne comportait aucune hypothèse sur la nature des gènes affectés dans le rétinoblastome ou sur le mécanisme de l’événement génétique dont ils sont l’objet. Cependant, des études de liaison entre prédisposition au rétinoblastome et transmission d’autres caractères héréditaires ainsi que des observations cytogénétiques ont établi une corrélation avec des pertes de matériel génétique observées sur le chromosome 13. Toutes ces observations ont conduit à l’identification et au clonage du gène du rétinoblastome, Rb, premier exemple de gène suppresseur de tumeur. Grâce à la connaissance du gène et de son produit, une protéine phosphorylée de 105 kDa localisée dans le noyau cellulaire, le modèle de Knudson a pu être traduit en termes moléculaires. Les deux événements postulés par le modèle intéressent les deux allèles du gène Rb. Ils peuvent être de différentes natures (mutations ponctuelles, insertion, délétions, par exemple) mais, dans tous les cas, ils ont pour conséquence la disparition dans la cellule tumorale de toute trace d’activité biologique du produit de Rb. Dans les cas familiaux, les individus affectés ont hérité de leurs parents un allèle fonctionnel et un allèle inactivé. Le rétinoblastome apparaît à la suite de l’inactivation dans une cellule précurseur de rétine de l’allèle parental fonctionnel. Dans les cas sporadiques, les deux allèles sont successivement inactivés au niveau d’une même cellule rétinienne.

La protéine du rétinoblastome est en réalité exprimée dans toutes les cellules des organismes eucaryotes. Elle se présente sous forme non phosphorylée de masse apparente 105 kDa dans les cellules qui ne se divisent pas. Au contraire, quand une cellule se prépare à entrer dans un cycle de division, la protéine Rb passe sous forme phosphorylée (masse apparente: 115 kDa). La forme 105 kDa de la protéine Rb exerce un effet de régulation négatif sur la prolifération cellulaire, probablement en bloquant l’expression de gènes nécessaires à la division cellulaire. On peut donc aisément comprendre que la complète disparition de la protéine Rb supprime un frein à la prolifération cellulaire, contribuant ainsi à l’oncogenèse.

Le caractère de gène suppresseur de tumeur et d’inhibiteur de la prolifération cellulaire de Rb a été confirmé en réintroduisant dans des cellules dérivées de tumeur un rétrovirus construit au laboratoire portant les informations codantes pour la protéine Rb normale et capable de les exprimer. On constate alors que les cellules exprimant un taux élevé de la protéine Rb sont incapables de se diviser, tandis que, pour un taux plus faible d’expression, les cellules peuvent encore se multiplier mais ont perdu leurs propriétés tumorigènes.

Quoique la découverte du gène Rb soit liée à l’étude d’une prédisposition génétique à un cancer très particulier, on s’est rapidement aperçu que des altérations des deux allèles du gène Rb peuvent également être observées dans des tumeurs diverses sans caractère familial. C’est spécialement vrai de cancers du sein et de cancers du poumon, dont les cellules sont fréquemment incapables de produire la protéine Rb. Cependant, alors que, dans le rétinoblastome, les événements génétiques portant sur les allèles de Rb présentent un caractère limitant par rapport à d’autres événements génétiques oncogéniques et doivent nécessairement se produire pour que cette tumeur particulière apparaisse chez le jeune enfant, dans les tumeurs sporadiques du sein ou du poumon, la perte des allèles de Rb se produit au cours de l’évolution qui conduit une cellule normale à la malignité. Elle n’est ni nécessaire ni suffisante, mais elle peut contribuer, en conjonction avec d’autres événements génétiques, à cette évolution.

Il existe beaucoup d’autres tumeurs à caractère familial, et la tendance actuelle est d’appliquer à ces pathologies le modèle de Knudson (tabl. 3). De fait, on sait aujourd’hui que la prédisposition héréditaire au syndrome de Li-Fraumeni est liée à des mutations ponctuelles d’un gène qui code une phosphoprotéine nucléaire d’une masse de 53kDa (gène p53). Le syndrome est caractérisé par l’apparition précoce de tumeurs de localisations diverses chez les individus ayant reçu d’un de leurs parents un allèle muté. Les mutations et les pertes d’allèles du gène p53, observées très fréquemment dans les tumeurs sporadiques les plus diverses, n’ont pas d’effet direct sur le phénotype des cellules tumorales, mais elles prédisposent les cellules qui les portent à accumuler des mutations et à générer des variants à potentiel oncogène accru. En effet, la protéine p53 est présente dans une cellule normale en très petite quantité, mais, après une agression (irradiation UV ou X, par exemple), son taux augmente jusqu’à un seuil à partir duquel cette protéine exerce une action inhibitrice sur la réplication de l’ADN. Selon son «inventeur», David Lane, elle représenterait donc une «gardienne du génome», car l’arrêt de la synthèse de l’ADN permettrait à la cellule de réparer les lésions qu’elle a subies. La protéine p53 est un facteur de transcription. En se liant à des séquences régulatrices spécifiques de l’ADN, il provoque la synthèse d’une protéine de 21kDa qui inhibe des kinases spécifiques du cycle cellulaire.

5. Anti-oncogènes et virus oncogènes à ADN

Les rétrovirus, dont le génome est constitué par de l’ARN, ne sont pas les seuls virus capables de jouer un rôle dans l’oncogenèse. Certains virus à ADN possèdent également la capacité de transformer des cellules en cultures ou d’induire des tumeurs. Les virus de papillomes humains (HPV) sont dans ce cas, et, comme pour le virus sarcomatogène aviaire, il a été démontré que le pouvoir oncogène des HPV est lié à la présence dans leur génome de gènes oncogènes codant les protéines virales, dites E6 et E7. Cependant, à la différence de la protéine pp60v-src du RSV, les protéines E6 et E7 jouent un rôle important dans la réplication du virus, et il n’a pas été possible d’établir une filiation entre les gènes E6 et E7 et des gènes cellulaires.

Les HPV infectent les cellules épithéliales. Il existe de nombreux types d’HPV qui diffèrent par la localisation des cellules qu’ils infectent. Parmi les plus intéressants en pathologie humaine, il convient de citer ceux qui infectent les épithéliums de la région ano-génitale. Ils sont sexuellement transmissibles, et l’épidémiologie des cancers de cette région conduit à attribuer à certains d’entre eux un rôle étiologique dans l’apparition de ces cancers. C’est ainsi que les HPV16 et 18, et un certain nombre d’autres, sont très fréquemment associés aux cancers du col utérin. Comme l’ont montré P. Howley et ses collaborateurs, les protéines E6 et E7 des HPV16 et 18 présentent une affinité pour les protéines cellulaires p53 et Rb, respectivement. L’interaction E6-p53 entraîne la destruction rapide de la protéine p53, tandis que la formation du complexe E7-Rb est susceptible de bloquer l’effet antiprolifératif de Rb. Il est concevable que le pouvoir oncogène de HPV implique d’autres fonctions virales et cellulaires. Il est certain toutefois que les interactions des protéines virales et des protéines cellulaires p53 et Rb jouent un rôle déterminant à la fois dans la réplication virale et l’oncogenèse, en induisant l’expression dans les cellules infectées de fonctions cellulaires nécessaires à la prolifération cellulaire.

Ce comportement particulier des protéines oncogéniques virales n’est pas observé pour d’autres virus oncogènes à ADN humains. Un des mieux connu, le virus d’Epstein-Barr, un des agents étiologiques du lymphome de Burkitt africain, possède, lui aussi, ses propres gènes oncogènes, mais les produits de ces gènes stimulent la prolifération des cellules pré-lymphocytaires B qu’ils infectent de façon latente sans interagir avec les protéines cellulaires Rb ou p53. Il en est de même pour le virus de l’hépatite B, agent des cancers primitifs du foie en Asie du Sud-Est et en Afrique tropicale et sub-tropicale, dont l’intervention oncogénique au niveau des hépatocytes présente probablement des aspects multiples, y compris, comme le suggèrent les résultats de P. Tiollais et de ses collaborateurs, l’activation par insertion de gènes cellulaires proto-oncogènes.

6. Proto-oncogènes, gènes suppresseurs de tumeur et progression tumorale

Des altérations génétiques intéressant deux catégories de gènes sont donc aujourd’hui considérées comme impliquées dans l’oncogenèse. Dans plusieurs pathologies tumorales, on s’est efforcé de faire l’inventaire de ces altérations. L’étude la plus complète et la plus instructive est celle que Vogelstein et ses collaborateurs ont consacrée aux cancers du colon. Dans au moins 80 p. 100 des carcinomes invasifs, ces auteurs ont mis en évidence la perte de fonction de deux gènes suppresseurs de tumeur: le gène p53 et le gène DCC (délété dans les carcinomes coliques). Dans environ 50 p. 100 de ces cancers, ils ont également noté une mutation ponctuelle sur le proto-oncogène Ki-ras . En outre, un autre gène, le gène APC, dont les altérations prédisposent à la polypose colique familiale, est également l’objet d’une perte de fonction sur au moins un allèle.

L’étude épidémiologique des cancers coliques dans les populations nord-américaines montre que leur incidence varie comme la sixième puissance de l’âge. En faisant l’hypothèse que l’apparition d’un cancer colique suppose l’accumulation dans une même cellule d’un certain nombre d’événements génétiques, on peut inférer que le nombre d’événements efficaces est au moins égal à six. Il est donc possible que, au moins pour ces cancers qui présentent des altérations des gènes Ki-ras , p53, DCC et APC, on ait fait l’inventaire de tous les événements génétiques qui sont nécessaires et suffisants pour assurer la transition entre une cellule normale de l’epithélium colique et une cellule tumorale.

On sait d’ailleurs que l’apparition d’un carcinome colique est précédée chez le patient par l’apparition d’adénomes bénins, et il est possible d’identifier une série d’étapes successives, allant d’une hyperplasie de la muqueuse au carcinome en passant par une série de formes adénomateuses de plus en plus éloignées de la muqueuse normale. Les observations de Vogelstein et de ses collaborateurs indiquent que cette progression tumorale est accompagnée par une accumulation progressive d’altérations génétiques qui surviennent dans un ordre préférentiel mais non absolu.

Il paraît particulièrement remarquable que les événements génétiques les plus constamment observés portent sur des gènes suppresseurs de tumeur. Cette conclusion, jointe à de nombreuses observations suggérant l’existence d’un nombre important de gènes suppresseurs de tumeur non encore identifiés, porte à penser que, si les proto-oncogènes ont été les premiers identifiés en raison même de la nature des événements génétiques qui les affectent, la liste des gènes suppresseurs de tumeur est loin d’être close.

7. Applications de la découverte des gènes du cancer à la cancérologie

Potentiellement nombreuses, certaines applications de la découverte des gènes du cancer à la cancérologie ne se réaliseront sans doute qu’à moyen ou à long terme. L’application la plus immédiate concerne la possibilité, sur la base de l’identification d’un gène dont les altérations prédisposent à une forme familiale de cancer, de distinguer dans une famille les individus porteurs de la mutation. Ces individus à risque une fois identifiés peuvent faire l’objet d’une surveillance particulière qui permet le diagnostic et le traitement précoces. La valeur de l’information ainsi obtenue peut cependant être très variable selon la pathologie considérée. Ainsi, dans le cas des enfants qui appartiennent à une famille affectée du syndrome de Li-Fraumeni, et qui sont porteurs d’un allèle muté du gène p53, tout ce que les connaissances actuelles permettent de prévoir est que ces enfants ont 50 p. 100 de risques de présenter une tumeur, dont la localisation précise est imprévisible, avant l’âge de trente ans. Cet exemple extrême illustre un des types de problèmes éthiques qui peuvent être soulevés par la connaissance d’un risque génétique individuel.

Une autre application potentielle concerne le typage des tumeurs sur la base des oncogènes qu’elles expriment ou des gènes suppresseurs qui leur manquent. On pressent que ces informations devraient utilement compléter, voire supplanter la description clinico-pathologique classique. Il faut cependant reconnaître que, en raison probablement de la multiplicité des événements génétiques possibles, cet objectif est encore loin d’être réalisé. Néanmoins, la valeur pronostique de certaines activations d’oncogènes est dès maintenant reconnue dans un nombre limité de situations et peut être prise en compte dans le choix des traitements.

L’identification d’oncogènes codant des protéines enzymatiques, qui jouent un rôle dans la régulation de la prolifération cellulaire, suggère également que ces protéines pourraient servir de cibles à la chimiothérapie antitumorale. L’importance des activités tyrosine protéine kinase et des protéines de la famille ras dans l’oncogenèse ont déjà suscité un effort de recherche important orienté vers des molécules susceptibles de bloquer ou de modifier l’activité de ces enzymes. Néanmoins, malgré des résultats préliminaires prometteurs, aucune molécule présentant un index thérapeutique utilisable n’est encore en développement à l’heure actuelle. Certains oncogènes codent des facteurs de croissance ou les récepteurs de ces facteurs, et, de fait, la prolifération de certaines cellules tumorales est autonome parce que ces cellules deviennent capables de produire un facteur de croissance pour lequel elles possèdent des récepteurs (croissance autocrine) ou parce qu’elles expriment constitutivement un récepteur activé. L’idée d’interférer dans ces mécanismes à l’aide d’antifacteurs de croissance est séduisante, mais sa réalisation pratique est complexe en raison de la nature chimique des facteurs de croissance. En effet, les facteurs de croissance sont des protéines ou des peptides qui sont rapidement dégradés dans l’organisme par les enzymes protéolytiques. Cependant, la synthèse d’antagonistes non peptidiques a déjà été réalisée et pourrait conduire à d’intéressantes applications.

Une des idées les plus originales consiste à concevoir des molécules susceptibles non plus d’interagir avec le produit final protéique d’un gène, mais avec le gène lui-même ou avec son produit de transcription, l’ARN messager, pour bloquer la production de la protéine. Les molécules en question sont en fait des enchaînements d’unités élémentaires constitutives des ADN, autrement dit des oligodésoxyribonucléotides, capables de reconnaître avec une grande spécificité des cibles au niveau de l’ADN ou de l’ARN messager. Des applications de ce concept à la chimiothérapie antivirale sont probablement proches, mais leur extension à la chimiothérapie antitumorale semble plus lointaine.

oncogenèse nom féminin Synonyme de carcinogenèse.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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